Un diagnostic sur un logis renaissance dans un bourg rural : la Maison Laurens à Foussais (Foussais-Payré, Vendée)

Par Jérôme Pascal


Résumé

Depuis quelques années, les prescriptions de diagnostic sur des bâtiments protégés au titre des Monuments Historiques se sont multipliées dans la région des Pays de La Loire. Les cahiers des charges sont souvent vagues et parfois stéréotypés. Dans le cas précis de la Maison Laurens, « palais urbain » édifié en 1552 dans un bourg du sud-Vendée, les échanges entre le service régional d’archéologie et l’Inrap ont défini un programme d’intervention qui a conduit à la réalisation d’une étude architecturale complète du bâtiment, révélant sa volumétrie initiale et les circulations anciennes entre ses différentes parties. L’identification et l’étude du décor intérieur, peu connu jusqu’alors, permettent de replacer l’édifice dans le courant des chantiers et travaux réalisés dans la région (le Bas-Poitou et notamment les villes de Fontenay-le-Comte et de Coulonges-sur-l’Autize) durant les années 1540 – 1560.

For a few years, the prescriptions of diagnostic on buildings protected as Historical Monuments have multiplied in the region of Pays de La Loire. The specifications are often unclear and sometimes stereotyped. In the precise case of the Maison Laurens, “urban palace” built in 1552 in a village of the south Vendée, exchanges between the regional archaeology service and Inrap defined an intervention program that led to a complete architectural study of the building, revealing its initial volumetry and the old circulations between its various parts. The identification and the study of the interior decoration, little known until then, allow us to place the building in the context of the building sites and works carried out in the region (the Bas-Poitou and in particular the towns of Fontenay-le-Comte and Coulonges-sur-l’Autize) during the years 1540 – 1560. [Translated with DeepL]


1. Le service régional d’archéologie des Pays de La Loire et les interventions sur les Monuments Historiques

1.1. Recensement des sites et des dossiers sensibles

Depuis les années 1990, les opérations de prospections, inventaires et recensements menées en Vendée par le service archéologique départemental et le service régional de l’archéologie (SRA) des Pays de La Loire, avec le concours d’agents de l’Afan puis de l’Inrap, ont abouti à l’intégration dans la carte archéologique nationale1 de la plupart des églises et châteaux médiévaux et des plus importants logis et manoirs « anciens », qu’ils soient ou non protégés au titre des Monuments Historiques.

Plus récemment, ce processus s’est accéléré et systématisé avec l’intégration par la cellule carte archéologique de toutes les églises avec leurs cimetières paroissiaux dans la base Patriarche. Dans le même temps, un des conservateurs en poste au SRA a été chargé de la gestion des dossiers en liaison avec les services des Monuments Historiques (CRMH, Udap).

1.2. Implications pratiques

Du fait de ce travail préalable, les interventions d’archéologie préventive sur les Monuments Historiques et à leurs abords se sont logiquement et légitimement multipliées en Vendée ces dernières années. Dans le cas des opérations de diagnostic portant sur le bâti avant restauration ou réaménagement des bâtiments, les cahiers des charges émis par le SRA sont généralement similaires, demandant : une recherche en archives, des sondages dans les sols des pièces et les espaces libres (cours, jardin), une étude des élévations et des relevés par photos redressées ou photogrammétrie. Ces demandes sont tempérées par deux observations : il convient de ne pas dégager une surface trop importante des fondations pour ne pas déstabiliser le bâtiment et de limiter les piquages pour ne pas dégrader les éventuels enduits anciens.

Les aménageurs fournissent habituellement les rapports des diagnostics recherchant le plomb et l’amiante et les résultats des études dendrochronologiques si elles ont été réalisées préalablement aux travaux. Plusieurs réunions préalables entre le SRA, l’Inrap, l’aménageur et l’architecte permettent de faire un point sur les attentes plus précises des uns et des autres, en fonction également de l’état du bâtiment et des possibilités d’accès en sécurité à ses différentes parties.

À partir de ce cadre qui reste relativement lâche, il est facile d’anticiper les dérives possibles, notamment dans la durée d’intervention sur le terrain et l’ampleur des relevés, et de remarquer que le résultat s’apparentera plus à une « analyse architecturale » qu’à une « analyse archéologique » proprement dite. Le diagnostic mené par nos soins sur la Maison Laurens à Foussais (commune de Foussais-Payré, Vendée) en septembre 2018 peut en fournir une illustration.

2. L’exemple de la Maison Laurens

2.1. Présentation, projet d’intervention

Ce monument emblématique de La Renaissance dans le Sud-Vendée (fig. 1), construit en 1552 pour le marchand François Laurens, notable protestant (fig. 2), est notamment considéré comme le plus ancien exemple connu et daté de fenêtre à serlienne dans l’ouest de la France. Inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis le 10 avril 1989, il avait par contre échappé à la sagacité du SRA et n’était pas enregistré à la carte archéologique2. Son rachat par la commune et la nécessité de travaux urgents ainsi qu’un projet de réaménagement à plus long terme ont amené le SRA à y prescrire un diagnostic.

Fig. 1 : Foussais, Maison François Laurens, façade nord. Vue générale. Jérôme Pascal, Inrap.
Fig. 2 : Foussais, Maison François Laurens, façade nord, sur rue. Vue de détail sur dédicace. Jérôme Pascal, Inrap.

L’arrêté de prescription définissait trois axes de recherches. Le premier, en vue de la réfection des toitures et charpentes, était de retrouver la volumétrie initiale du bâtiment en recherchant notamment les traces de l’existence du second niveau de la galerie, disparue depuis la fin du XIXe siècle, (fig. 3) et le plan initial de l’aile est, profondément modifiée à la même époque. Le second était de rechercher les vestiges d’éventuels bâtiments ayant précédé la construction actuelle (datée de 1552), tant dans la cour que dans l’emprise des constructions, notamment sous forme de remploi. Il était également demandé d’établir la chronologie relative du bâtiment et de ses phases de travaux, tant au rez-de-chaussée qu’au niveau des combles et des charpentes. Pour ce faire l’arrêté de prescription commandait de procéder à des piquages des enduits par bandes verticales et fenêtres, tant en façade qu’en intérieur, et de réaliser des sondages à l’extérieur et à l’intérieur de l’emprise actuelle des bâtiments.

Pour répondre à ces prescriptions, compte tenu des contraintes liées à l’utilisation de la travée sud du bâtiment comme bibliothèque municipale et au vu des travaux déjà réalisés par la mairie (démontage des cloisons légères récentes dans la partie nord de l’aile ouest, piquage de la façade sur cour), l’Inrap a fourni un programme d’intervention précis visant à rechercher la volumétrie initiale du bâtiment, notamment celle de la galerie et de l’aile est, et à étudier la charpente, datée de 1554 par dendrochronologie (laboratoire Dendrotech de Rennes). Dans ce but, les interventions archéologiques (piquages, relevés d’élévation) se sont concentrées sur l’ancienne cage d’escalier, les quatre niveaux de l’aile est, l’emprise de la galerie et les combles. Il était également prévu de pratiquer trois sondages, un dans la cour, au droit de la tour d’escalier, un deuxième dans la première pièce du rez-de-chaussée de l’aile est, le troisième au rez-de-chaussée de la galerie.

Fig. 3 : Foussais, Maison Laurens, façade sur cour, état en 1865. Gravure de O. de Rochebrune.
Fig. 4 : Foussais, Maison François Laurens, plan du rez-de-chaussée. Relevé : Dominique Guimard ; Dessin : Nicolas Bonnin, Inrap.
Fig. 5 : Foussais, Maison François Laurens, aile est, coupe dans les pièces sud. Nicolas Bonnin, Inrap.

2.2. Résultats

Les sondages et piquages n’ont révélé aucune trace d’une occupation du site préalablement à la construction de l’édifice actuel dont ils ont, par ailleurs, confirmé la grande unité et la parfaite cohérence. Le plan initial de l’aile est a pu être restitué (fig. 4) ainsi que son développement sur quatre niveaux (rez-de-chaussée, entresol, étage, comble ; fig. 5) bien différent de celui de l’aile principale (cave, rez-de-chaussée, étage, comble). Au rez-de-chaussée, il est également apparu que l’aile est était séparée de l’aile ouest par un couloir formant, en plan, le prolongement de la galerie sur cour (fig. 4). La hauteur cumulée du rez-de-chaussée et de l’entresol de l’aile est, abritant de probables « pièces de service », correspondant à la hauteur sous plafond des pièces du rez-de-chaussée de la partie ouest, couloir et galerie compris (fig. 5).

L’étude de la cage d’escalier a permis d’identifier les circulations d’origine entre les deux ailes et entre les différentes pièces de l’aile ouest ainsi que l’accès à l’étage de la galerie dont l’existence a ainsi été confirmée. Cette galerie s’appuyait au nord contre la tour d’escalier semi-hors œuvre et au sud contre une tourelle lui faisant pendant (fig. 3 et 4). Cette seconde tourelle, découronnée et noyée dans les maçonneries modernes de la façade orientale n’est maintenant plus discernable de l’extérieur. Seule la partie haute, à usage de pigeonnier, est identifiable dans les combles ; les niveaux inférieurs devaient abriter des latrines mais ils ont été profondément modifiés lors de la destruction de leur mur nord, probablement contemporaine de celle de la galerie.

Les désordres actuels de la charpente ancienne, un exemple précoce de charpente à liernes, s’expliquent notamment par les problèmes de raccord des différents volumes des toitures et des chéneaux entre les tourelles et le corps de logis principal ; ils découlent aussi de la fragilité des assemblages entre les entraits et les sablières posées au sommet des murs et entre les liernes et les fermes (fig. 6). Les liernes assurent effectivement le contreventement des fermes mais supportent également la presque totalité du poids des chevrons et de la toiture, charge pour laquelle elles sont sous-dimensionnées.

La mise au jour des portes anciennes, tant au rez-de-chaussée que dans les étages, a mis en évidence la qualité du décor sculpté intérieur, utilisant un « ordre dorique renaissance » qui associe chapiteaux et colonnes d’ordre toscan à des entablements doriques à fasces, triglyphes et métopes lisses. L’élément le plus caractéristique est toutefois le motif de « festons » sculpté en faible relief sur les rouleaux des arcs en plein cintre des portes et de la fontaine du rez-de-chaussée (fig. 7). Ce décor, présent également sur la Grande Fontaine de Fontenay-le-Comte, datée de 1542, et sur la fontaine du manoir de La Fosse à Mouilleron-en-Pareds (1557) permet probablement d’identifier un atelier actif dans le sud-ouest du Poitou au milieu du XVIe siècle.

Fig. 6 : Foussais, Maison François Laurens, combles, détail d’une ferme de charpente. Assemblage de l’entrait sur les sablières et des liernes sur l’arbalétrier. Jérôme Pascal, Inrap.
Fig. 7 : Foussais, Maison François Laurens, rez-de-chaussée. Cuisine, lavabo ou fontaine (?). Jérôme Pascal, Inrap.

Le caractère novateur du décor avec notamment sa serlienne en façade (fig. 1) et, dans une moindre mesure, de la charpente, ne doit pas faire oublier qu’il s’agit en fait d’un bâtiment dont le plan et la structure demeurent médiévaux en s’organisant autour d’une tour d’escalier à vis semi-hors œuvre couronnée d’une chambre haute à cheminée (fig. 4). L’organisation et le décor purement gothique des poutres et solives des plafonds (également datées vers 1554) montre bien les hésitations du maître d’œuvre entre « tradition » et « modernité ».

3. Bilan

On voit que les travaux réalisés ont permis une analyse architecturale et stylistique assez poussée du monument. Le temps passé sur le terrain (trois semaines pour deux archéologues et quatre jours pour un topographe) a toutefois notablement excédé la norme commune en matière de diagnostic. Cependant, le problème majeur nous semble résider dans les suites qui seront éventuellement données à cette opération.

À l’heure actuelle, la commune a renoncé à son projet d’aménagement initial pour des raisons budgétaires et seuls les travaux de mise hors d’eau ont été réalisés. Dans l’hypothèse d’un nouveau projet, indispensable vu l’état du monument, la poursuite de l’étude sous la forme d’une fouille prescrite par le SRA serait souhaitable, notamment pour étudier les points laissés en suspend (travée sud et sa tourelle, sous-sols, combles, accès et ouvertures du rez-de-chaussée…) et finaliser les relevés et restitutions.


Bibliographie

FILLON, Benjamin, ROCHEBRUNE, Octave de. (1887). Poitou et Vendée. Études historiques et artistiques. 2 vol. Niort : L. Clouzot. <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96733910>.

IMBERT, H. (1865). Excursion à Vouvant, Mervent et Foussais le 16 juin 1864. Congrès archéologique de France tenu à Fontenay-le-Comte en 1864 (p. 155-162).

LEVESQUE, Richard (commissaire). (1995). Fenêtre sur Combles : catalogue de l’exposition au Logis de la Chabotterie. La Roche-sur-Yon : Conseil Général de la Vendée, 76 p.

LEVESQUE, Richard (dir.). (2000). La Vendée au temps de la Renaissance : catalogue de l’exposition au Logis de la Chabotterie. La Roche-sur-Yon : Conseil Général de la Vendée, 144 p.

PASCAL, Jérôme. (2021). Un diagnostic sur un logis renaissance dans un bourg rural : la Maison Laurens à Foussais (Foussais-Payré, Vendée) [Poster]. Dans V. Mataouchek, C. Carpentier, M. Bouiron & F. Guyonnet (dir.), Archéologie préventive sur le bâti : actes du 5e séminaire scientifique et technique de l’Inrap, 28-29 oct. 2021, L’Isle-sur-la-Sorgue. <hal-03419508>.

PASCAL, Jérôme, BONNIN, Nicolas. (2018). Foussais-Payré (Vendée), Maison François Laurens : rapport de diagnostic. Cesson-Sévigné : Inrap Grand Ouest, 180 p. <https://dolia.inrap.fr/flora/ark:/64298/0153280>.

RÉAU, Marie-Thérèse. (2008). Fontenay-le-Comte, capitale du Bas-Poitou. Urbanisme et architecture, XVe- XIXe siècle. Nantes : Revue 303, 302 p.

VALLETTE, René. (1891). Une excursion archéologique à Foussais. Revue du Bas-Poitou, 371-390.


Pour citer cet article

PASCAL, Jérôme. (2023). Un diagnostic sur un logis renaissance dans un bourg rural : la Maison Laurens à Foussais (Foussais-Payré, Vendée). Dans V. Mataouchek, C. Carpentier, M. Bouiron & F. Guyonnet (dir.), Archéologie préventive sur le bâti : actes du 5e séminaire scientifique et technique de l’Inrap, 28-29 oct. 2021, L’Isle-sur-la-Sorgue. DOI : 10.34692/zct0-4991. <hal-04030075>.


Auteur

Jérôme Pascal – Inrap Grand Ouest – jerome.pascal@inrap.fr


Notes
  1. Bases de données Dracar puis Patriarche. []
  2. Il est depuis devenu l’entité archéologique EA 85 094 0013. []

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search